J’ai fait une reconversion professionnelle un peu forcée il y a 5 ans.
Suite à un changement de direction dans l’entreprise où j’exerçais précédemment ma mission de consultant avant-vente en infrastructure IT, ma présence n’était plus souhaitée. J’ai négocié et obtenu une rupture conventionnelle à des conditions très satisfaisantes.
J’avais deux options
La première, solution de facilité, était de retrouver un job salarié sur un poste assez comparable. Mais à 55 ans, le pronostic n’était pas bon. De plus, avec l’arrivée des services cloud et l’inéluctable mutation de l’IT vers un modèle de consommation plus que d’investissement, mon métier était en profonde mutation et la mission que j’exerçais précédemment de moins en moins pertinente. L’avenir semblait s’écrire en gris, tendance orageuse.
La seconde solution était de franchir le Rubicon une bonne fois pour toutes et de lancer de manière professionnelle l’activité que je pratiquais de manière plus ou moins informelle depuis plusieurs décennies, créer des road-trips sur mesure aux Etats-Unis. Et j’ai créé Passion USA.
La reconversion : un changement à tous les niveaux
Seulement voilà, cette reconversion m’imposait un changement complet à tous niveaux, de nombreuses découvertes et un réapprentissage complet de pas mal de domaines :
- Type d’emploi : ce que je voulais faire nécessitait une flexibilité totale, donc une indépendance totale. Pas question de rejoindre une structure existante, il me fallait créer mon entreprise.
- Taille du marché : il n’existe pas d’étude de marché détaillée sur le voyage sur-mesure aux Etats-Unis. J’ai donc dû aller à la pêche aux données, nécessairement fragmentaires, donc à vérifier, valider, recouper, etc. Je suis arrivé à définir une niche de marché, pas énorme mais avec un taux de marge à peu près décent.
- Modèle de rémunération : faisant le choix d’une création ex nihilo, je faisais implicitement le choix d’une rémunération totalement imprévisible, sans pouvoir anticiper quoi que ce soit. Le timing était cependant propice : maison payée, enfants adultes, pas de train de vie extraordinaire à financer, donc peu de besoins réels. Histoire de limiter les risques, mon épouse a conservé son propre emploi. Je me suis donc lancé seul.
- Contexte réglementaire : en France, l’industrie du voyage est très strictement encadrée, avec des contraintes de garantie financière, d’assurance responsabilité civile, d’immatriculation, etc. Ne devient pas voyagiste qui veut ! Ce contexte réglementaire, je devais commencer par l’étudier dans les moindres détails, jusqu’à le connaître par cœur. L’immatriculation d’une entreprise de voyage est à elle seule une sorte de parcours initiatique, un peu comme l’entrée dans la franc-maçonnerie.
- Statut juridique : dans le cas d’une entreprise de voyage, une auto-entreprise ou une micro-entreprise est une fausse bonne idée. La crédibilité nécessaire pour réunir tous les soutiens nécessaires (banque, assureur, garant financier, immatriculation, fournisseurs, clients) ne peut être atteinte qu’avec des sociétés de capitaux à l’envergure suffisante. J’ai donc créé une SAS au capital de 20 000 euros avec 3 associés, dont 2 n’ont aucun rôle opérationnel.
- Cadre contractuel : comme dans tout acte de vente, un voyage, c’est un contrat, qu’il convient de rédiger de manière rigoureuse et claire. Les conditions générales sont un rappel d’une douzaine d’articles du Code du Tourisme et définissent le cadre juridique général du contrat de voyage. Les conditions particulières sont propres à chaque entreprise et détaillent les obligations de chacune des parties. Le diable ayant une furieuse tendance à se nicher dans les détails, le plus grand soin doit être apporté à leur rédaction, sous peine de conséquences juridiques assez sérieuses en cas de contestation ultérieure.
- Vente : comment trouver les clients ? Le modèle 100 % internet était de loin le plus pertinent. Il me permettait de démarrer rapidement, en créant le strict minimum de charges fixes. Naturellement, il m’exposait à une concurrence acharnée : personnes organisant leur voyage elles-mêmes sur internet, autres voyagistes 100 % internet, agences de voyage classiques. J’ai dû m’initier au marketing réseau, domaine entièrement nouveau pour moi. Mes études en la matière remontent à une époque où les réseaux sociaux n’existaient pas. J’ai dû tout réapprendre. Mais si l’approche est nouvelle, un client reste un client.
- Financement : l’activité de voyagiste est peu consommatrice de trésorerie, puisque les clients payent d’avance. Malgré tout, comme dans toute entreprise, il existe un besoin en fonds de roulement. En fonction de mes prévisions de vente et du modèle économique, quel allait être le besoin d’actif circulant ? Dès avant le lancement, j’ai porté une attention très précise à la gestion de trésorerie. Chat échaudé craint l’eau froide, dit-on …
- Formation : même après 18 mois de préparation du projet, je ne me voyais pas débarquer dans un nouveau métier sans un minimum de formation. J’ai donc choisi de suivre un programme intensif de 3 semaines spécialiser sur l’industrie du voyage : contraintes juridiques, tarification aérienne (un univers parallèle d’une complexité insoupçonnable pour le commun des mortels !), tarification contrats, etc. Ce programme a été financé à 90 % par Pôle Emploi.
- Produits : j’ai fait très tôt le choix de créer mes propres offres. Je serai peut-être allé un peu plus vite en distribuant d’autres produits, mais je n’aurais pas atteint le niveau de flexibilité que je recherchais. J’ai donc éliminé cette option très rapidement, pour me concentrer sur 3 offres : voyage sur mesure (Passion USA fabrique et organise le voyage, sur place le client est autonome), circuit accompagné (un petit groupe, 10 participants maximum, accompagné par un guide-interprète Passion USA), voyage privatisé (une famille ou un groupe d’amis, un voyage entièrement sur mesure, un guide Passion USA à disposition).
- Site web : puisque je faisais le choix d’un modèle de distribution 100 % web, je me devais d’avoir un site web, tout comme une agence de voyage classique dispose d’une vitrine. Ça aussi, il a fallu que je l’apprenne, car mes connaissances en développement d’applications remontaient à loin, très loin ! Après quelques errements, j’ai constaté que je n’étais pas infographiste et ne le deviendrais pas. J’ai donc acheté une maquette (mise de fonds : $40, c’est raisonnable), que j’ai personnalisée à outrance : photos, code couleur, polices de caractères, équilibre entre le texte et les éléments graphiques, etc. Malgré tout, le site web Passion USA (https://www.passion-usa.biz) est la vitrine de l’entreprise, il n’est pas l’entreprise. Dès le début, un de nos choix a été de remettre l’humain au centre de la communication client-fournisseur, et nous avons donc décidé de ne pas proposer d’automatisation à outrance, de configuration en ligne du voyage, de commande et paiement sur smartphone, etc. La discussion entre le client et le fournisseur se fait de vive voix, avec comme valeur ajoutée le conseil, l’expertise, le savoir-faire … et l’écoute du client. Cette stratégie a pour bénéfice additionnel d’être cohérente avec les aspirations du segment de clientèle que nous privilégions, CSP+ d’âge plus ou moins certain, non obligatoirement technophiles.
Et maintenant ?
L’année 2020 a été très fertile en événements. J’avais déjà été exposé à la gestion de crise lors de mes vies antérieures, mais là, j’avoue que les tests imposés par les circonstances, résilience, créativité, relation client, etc., ont copieusement dépassé toutes mes prévisions. Malgré tout, et contrairement à une industrie du voyage très durement éprouvée dans son ensemble, Passion USA émerge de ce maëlstrom plus solide que jamais : trésorerie très saine, motivation au plus haut (un petit goût de revanche, sans doute …) et ce à quoi nous tenons par-dessus tout, la confiance des clients. J’en veux pour preuve nos indicateurs de performance (Google, Facebook …), qui progressent lentement mais régulièrement.
A titre personnel, j’ai dû réapprendre plusieurs métiers : développeur web, organisateur de voyages, chef d’entreprise, spécialiste du marketing réseau. Enfin, dû n’est pas tout à fait exact. Je vois plutôt ça comme une opportunité, une richesse nouvelle que je ne soupçonnais pas vraiment lorsque j’ai lancé le projet en 2015, une sorte de défi personnel multi-tâches sur lequel je me suis jeté comme si j’étais intellectuellement mort de faim !
Finalement, de mes missions précédentes dans le monde IT, un certain nombre de compétences non techniques, transversales, m’ont été, et me restent, extrêmement utiles : anglais courant (aux Etats-Unis, ça peut servir), gestion de crise (2020 a été très intéressante !), relation client, chef de projet, parce qu’un projet reste un projet, avec des tâches, des ressources à planifier, des délais, des dépendances, etc.
De tout ce projet, le plus simple a été de lui trouver un nom. Je suis passionné des Etats-Unis depuis que j’ai 5 ans. Passion USA, un nom que j’utilise depuis 2012 pour un site web personnel, était une évidence.
Economiquement, Passion USA est pour le moment un succès en demi-teinte. La société est rentable depuis le début, mais sur une base de clientèle qui reste restreinte. Notre prochain défi est donc de faire croître cette base tout en respectant nos fondamentaux : marge décente, satisfaction du client, voyage sur mesure, prestations de qualité, originalité, groupes restreints, flexibles et conviviaux, respect des populations locales, des sites et de l’environnement.
A titre personnel, je ne reviendrai en arrière pour rien au monde. Je me réalise passionnément dans ce que j’accomplis aujourd’hui. Ce qui nous manque, ce ne sont pas les idées (un road-trip sur les traces de Johnny Hallyday, Easy Rider à l’envers, ça vous tente ?), mais la levée des restrictions de voyage.
« Ne pas monter bien haut peut-être, mais tout seul »
(Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac)